Il y a des samedis où l’on n’a pas trop envie d’aller user ses Converse au parc des Chutes. Nos semelles trépignent à l’idée de faire connaissance avec de nouveaux cailloux. On a le goût de socialiser avec des arbres inconnus. Pas avec une amie du primaire qui prend sa marche de santé ou avec le collègue Roger qui promène son lévrier.
Par un de ces matins d’été qui sentent la liberté, nous sommes donc partis vers le Canyon des Portes de l’enfer, tels de fougueux aventuriers de l’arche perdue (mais avec une salade de quinoa dans le sac et du chasse-moustiques dans le coffre). Marcher sur les braises sortirait la famille de la routine, me disais-je. Et on avait deux ou trois péchés en banque pour régler nos droits d’entrée!
Fausse représentation. On est loin de l’enfer, ici, mais tout près du paradis.
Vous n’avez jamais mis les pieds, ni même un seul, dans cette forêt enchantée perdue à Saint-Narcisse, dans les terres en haut de Rimouski? Pas de honte!
Avant qu’une connaissance m’en chante les louanges, je n’avais jamais entendu le nom de ce parc, qui me fait plus penser à un manège à vomi à La Ronde qu’à un lieu récréotouristique familial. On m’avait avertie qu’une journée, ce ne serait quasiment pas assez, pour piquer le slogan d’un royaume aquatique qui sait faire son marketing. Cette connaissance n’avait pas tort.
Le Canyon des Portes de l’enfer est un secret bien gardé. Trop en parler est presque une offense digne de châtiment, tellement l’endroit mérite d’être préservé du bourdonnement touristique.
Honnêtement, je me demandais comment un site qui n’a pas été nationalisé ni municipalisé mais qui existe grâce aux dons et à la dévotion de convertis, pourrait occuper aussi longtemps deux parents friands de sensations fortes, un garçon qui commence à avoir le pied lourd pour les sorties familiales et une sauterelle hyperactive qui a atteint sa limite de poids et de patience dans le porte-bébé.
Le site est naturellement spectaculaire. Il tient son nom des parois abruptes qui enserrent les deux chutes, hautes de 20 mètres. Ces rapides, qui étourdissent la rivière Rimouski, représentaient une embûche de taille pour les draveurs, à l’époque de la chasse-galerie. D’où l’enfer. Les gestionnaires de la corporation ont travaillé fort pour tirer le meilleur parti de cette cachette bénie des dieux.
Divisé en deux sites séparés par cinq minutes de voiture, l’endroit est serpenté par de fort jolis sentiers, de tous les degrés de difficultés, longs de 1 à 14 km. Ne vous laissez pas intimidés par les 300 marches à descendre pour atteindre le bord de la rivière. Ce n’est qu’un nombre. Vrai, l’escalier demande du souffle (surtout sur le retour!), mais l’exercice en vaut la peine, ne serait-ce que pour se tremper les orteils et se faire surprendre par une écrevisse. Honnêtement, vous serez condamné au regret pour le restant de vos jours si vous rebroussez chemin.
Les grands arbres cachent également des parcours ludiques, bien pensés pour les enfants. Tsé, ceux-là qui trouvent qu’une épinette ressemble à une autre épinette et que marcher dans le silence sans tablette est une perte de temps.
On s’est d’abord perdus dans le labyrinthe en bois, en menant l’enquête pour retrouver le terrifiant Sasquatch. Des énigmes nous instruisent au passage sur le mythe entourant ce yéti occidental. (Essayez de sortir de là sans fredonner Sasquatchewan des Trois Accords.)
Plus récent ajout à la panoplie du parc: le parcours interactif Les Portes d’Oniria, qu’on a ensuite attaqué avec un bâton de pèlerin magique en main. Sans compter sur le budget colossal des parcours nocturnes développés par Moment Factory à Carleton et Coaticook, ce petit monde fantastique souffre étonnamment peu de la comparaison. Merveilles d’artisanat et d’ingéniosité, ses escales réservent de jolies surprises. Les enfants n’y ont vu que du feu. (Jeu de mots. On est en enfer, rappelez-vous…)
La plus haute passerelle suspendue du Québec, d’où l’on peut contempler le paysage comme un oiseau, et la reconstitution d’un village de draveurs, qui témoigne d’un pan de notre histoire qu’on ne connaît pas tant que ça, méritent aussi qu’on s’attarde. Nous avons même manqué de temps pour le circuit de géocachette.
La visite vaut donc amplement la petite heure et demie de route à se taper pour s’y rendre (une heure sur la 132, vingt minutes sur la 232, 10 minutes sur un chemin de terre). Sur le chemin du retour, pour récompenser les vaillants diablotins, et pour se récompenser soi-même après avoir brûlé quelques kilojoules et gagné son paradis, une pause poutine à la Fromagerie des Basques s’impose. Un péché de gourmandise n’a jamais tué personne.
Le parc des Chutes sera encore là la semaine prochaine.
Le diable, lui, n’attend pas.
http://canyonportesenfer.qc.ca