Où es-tu, Christine Lepage?

Christine Lepage a habité dans nos télés pendant 25 ans, avec ses fossettes et sa collection de paires de lunettes. Puis, sans crier gare ni allumer de gyrophares, elle s’est échappée de son pupitre. Mis à part dans des publicités d’optométriste, la légendaire lectrice de nouvelles de CIMT ne se fait plus voir nulle part depuis ce jour de 2015. On a déployé toute notre équipe d’enquête pour la retrouver. Pas très loin de son ancien studio, finalement…

C’était le 3 mars 2015.

Ce matin-là, comme tous les matins qu’internet amène, Christine Lepage a bu son premier café en défilant ses journaux électroniques et ses réseaux sociaux. Sur l’autoroute Facebook, elle a roulé sur un poème de Charlie Chaplin, qui refait surface régulièrement. Elle a freiné. Le titre : « Le jour où je me suis aimé pour vrai ».

Comme tous les matins, depuis 25 ans, elle a ensuite monté dans sa voiture pour se rendre au travail.

Ce matin-là, elle allait démissionner.

Une extrême fatigue professionnelle, allongée sur une crise de la cinquantaine, a poussé la chaleureuse cheffe d’antenne et directrice de l’information à tout larguer. Ses patrons, comme leurs téléspectateurs, ne l’avaient pas vu venir.

Cela faisait pourtant six mois que sa voix radiophonique lui soufflait, avec une diction parfaite, de couper les ponts avec l’information. Comme une alcoolique qui ne peut se résoudre à liquider ses bouteilles de fort dans le lavabo, la Sophie Thibault du petit réseau remettait au lendemain le début de la cure. Plusieurs lumières clignotaient sur son tableau de bord. Son télésouffleur l’essoufflait.

Ce jour-là, elle allait s’aimer pour vrai.

« Vingt-cinq ans de carrière et 50 ans de vie : l’équation pesait lourd dans ma tête. Je ressentais une très, très, très grande fatigue. Ce n’était pas une dépression. J’avais déjà été gâtée dans ce domaine en 1999, confesse la longiligne brunette, avec la candeur que ses proches lui connaissent. Je calculais qu’il me restait grosso modo dix ans à travailler. Je ne me croyais pas capable de tenir le rythme tout ce temps. »

 

« Même si l’information, c’est tout ce que je savais faire, je devais me retirer. C’était une question de santé. »

 

Un bras en moins

Qui a déjà fait du temps dans une salle de nouvelles sait qu’on y consomme en groupe l’une des drogues les plus puissantes autorisées par le gouvernement Trudeau. Cette fièvre quotidienne s’accompagne aussi d’une pression intense, qui finit par faire sauter des bouchons.

Avec un préavis de trois mois et les applaudissements de son médecin, Christine Lepage s’est donc séparée de son métier. Pour illustrer la douleur de cette rupture, elle évoque une amputation.

« C’est comme si je m’étais arraché un bras moi-même. Pendant 25 ans, j’ai tout mis dans ma carrière, tout mon temps, toute mon énergie. C’est peut-être parce que je n’ai pas eu d’enfant que je n’ai jamais réussi à trouver l’équilibre. »

Au fil des années, ce métier qu’elle adorait a subi de profondes transformations. La native de Chicoutimi, diplômée du Cégep de Jonquière (bien avant que le Wi-Fi entre dans les classes) admet que la manière nouvelle de cuisiner une nouvelle comme un hamburger a aussi eu raison d’elle. « On n’a pas encore digéré une nouvelle qu’on passe à la suivante. On surfe d’une vague à l’autre. Je regrette le temps où on approfondissait les sujets, où on les décortiquait pour bien les expliquer. Mais je ne pouvais pas penser que j’allais renverser la vapeur. C’est comme ça partout, aujourd’hui. Je ne voulais surtout pas devenir la vieille fatigante qui répète aux jeunes que c’était mieux dans son temps… »

À l’inverse, travailler avec ces jeunes a agi comme un bain de formol sur la présentatrice, qui a su conserver son teint de pêche et son air taquin pendant ce quart de siècle. CIMT servant de rampe de lancement aux présentateurs et journalistes fraîchement émoulus des écoles de communications, Christine Lepage en a vu défiler, des jeunes loups. Pour une fille qui rêvait d’enseigner, elle a été servie.

 

« Je n’ai pas eu d’enfant, mais j’ai mis au monde plusieurs beaux talents », reconnaît-elle humblement.

 

La « maman » d’Élizabeth Laplante, de Bruno Savard et de Pascale Robitaille, entre autres rejetons qui ont quitté son bercail, a par contre dû apprendre à ne pas s’attacher à ces sympathiques recrues, qui aspirent souvent à brandir un micro devant un plus large auditoire. Christine Lepage, de son côté, a décliné quelques offres pour poursuivre sa carrière à Montréal ou à Québec. « Ça n’a jamais été une option. Je ne pouvais pas laisser ce que j’avais ici », affirme celle qui s’est mariée presque en même temps qu’elle épousait CIMT.

La lectrice devenue directrice

Ce 3 mars 2015, Christine Lepage n’avait rien devant elle. À part un projet de vacances en Grèce et du repos. Il n’y a pas eu de vacances en Grèce, mais elle s’est reposée. « Je me suis déposée », reformule-t-elle, joliment.

Après quelques mois de liberté — et de vœu de pauvreté —, le téléphone a sonné. CIMT lui offrait de revenir, dans un poste de direction en affaires et développement. À un escalier de distance des studios. Arriverait-elle à travailler si près des caméras sans rechuter ?

Elle a accepté. À ses conditions. Quatre jours par semaine. Comme le hasard aime récompenser les sages décisions, cet horaire allégé lui a permis, peu de temps après son retour au boulot, d’accompagner sa mère dans ses dernières respirations.

Maintenant, après un an et demi de sevrage des primeurs, des gros titres et de Twitter, elle se sent légère et sereine. Elle apprend tranquillement à vivre avec un bras en moins. Elle apprend à vivre l’instant présent, après avoir passé sa vie à se projeter dans le prochain bulletin. Elle écoute toujours les nouvelles, par curiosité, mais elle n’en fait plus une obsession. « Je décolle même à rire quand les gens me parlent d’une nouvelle et que je ne suis pas au courant ! »

Dans ses temps libres, Christine Lepage se cherche une passion.

 

« La plus grande chance de ma vie est d’avoir gagné ma vie avec ma passion. Mon plus grand drame est de n’avoir jamais pu développer d’autres passions. Mais je travaille fort là-dessus ! »

 

Tous les jours, elle relit le poème de Chaplin, qu’elle a posé sur son frigo et glissé dans son sac à main. Et maintenant, chaque fois qu’elle passe devant le Cinéma Princesse et la statue de son muet personnage à moustache, elle sourit.

Parce qu’elle sait que ce matin de mars 2015, elle a pris la meilleure décision. Celle de s’aimer pour vrai.

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Les commentaires Commentez vous aussi
  1. Tu m’a fait pleurer tu sais le jour ou tu nous annonçait ton départ .. Mais je suis tellement heureuse pour toi .. La croisée des chemins ..ils n’est jamais trop tard xxx

  2. Chrstine est pour moi plus qu’une lectrice de nouvelles, c’est ma nièce. Je la connais et je sais que c’est quelqu’un d’extraordinaire. Votre article la décrit tellement bien. Ça, c’est notre Christine. Tout simplement « bravo ».

  3. Bonjour Mme Lepage,
    Le soir de votre dernier bulletin de nouvelles, je vous ai regardée, vous étiez fragile, émotive! J’ai ressenti ces émotions en entendant le timbre de votre voix, et j’ai pleurée. Aujourd’hui, en lisant ce magnifique texte, la même émotion est monté car la passion décrite en lien avec votre métier et les raisons de votre lâcher prise par rapport avec ce même métier me ramène à moi même, dans le métier que je fais depuis maintenant 40 ans, avec passion et avec un très grand désire de soulager et accompagner jusqu’à la fin de vie, soit celui d’infirmière- auxiliaire. Ma retraite prévue dans 2 ans seulement, je me sens comme un citron que l’on a pressé depuis des années et qui a tout donné pour cette passion d’aider les autres.
    Je désire vous souhaiter la paix, l »Amour et l’harmonie en vous, n’oublier pas que la personne la plus importante de votre vie, est vous même! Faites ce qui est bon pour vous même! Sans vous connaître personnellement, je vous salut et vous dit amicalement, bonne route!

  4. Allo Christine.Je me rappelle tres bien quand tu etudiais a Jonquiere.Tu es venue travailler au meme endroit que moi et nous sommes devenues de grandes amies.On se racontait plein de choses et on riait tellement toi et moi.J’ai apprecie tous ces beaux moments que l’on a partage.Tu es une femme que j’admire et tu as bien fait de prendre du temps pour toi.Un jour ou l’autre il faut ecouter notre corps.Au plaisir de te croiser a nouveau.Ton amie qui sera toujours la pour toi.Chantal Dube xxJe porte le nom de Lord maintenant au N.B.

  5. J’admire votre courage je suis une passionner de mon métier et donne beaucoup de temps mais la fatigue me gagne de temps en temps et je comprends votre fatigue comme je suis beaucoup plus âgé que vous il m’en reste pas trop long
    Merci de ce beau témoignage Et c’est vrai que sa nous a fait beaucoup de peine de ne plus vous voir à l’écran. Mais vous croise à l’occasion et votre sourir nous fais un beaume Merci pour c’est Annee ❤️

  6. Une gracieuse dame, et je pèse sur le mot Dame ! Merci de cette belle période madame et je vous souhaite tout le bonheur possible pour l’avenir.

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