L’expérience du mois : les soirées de slam

C’est gênant. Surtout à presque 40 ans.

C’est mon père qui m’a traînée à une soirée de slam.

C’était un mardi soir de tempête. Peut-être même que c’était un mardi soir de bombe météorologique. Je ne me souviens plus. Mais dehors, ce n’était pas beau. C’était l’Apocalypso, comme dans la chanson de Jo Bocan. (Ça aussi, c’est gênant. Mais bon, j’ai presque 40 ans.)

Papa avait entendu parler de ces soirées à micro ouvert. Il était curieux. Il est venu me chercher avec son pick-up blanc et on s’est tracé un chemin dans le noir jusqu’au Café du clocher, notre bunker temporaire pour se protéger des projectiles de ouate.

Moi, je connaissais le concept. J’ai même été initiée, dans son fief sherbrookois, par le champion incontesté de ces joutes oratoires au Québec : David Goudreault. J’ignorais que la scène slam était aussi grouillante et organisée à Rivière-du-Loup.

Papa a donc commandé deux thés et on a écouté des inconnus lire un bout de leur cœur griffonné sur un bout de papier. Récits d’enfance ou histoires inventées. Tendres réminiscences ou violentes envolées. Avec ou sans rimes. Avec du rythme.

Une professeure de cégep, lessivée par son marathon de corrections, a partagé son exaspération devant les copies crottées de ses étudiants. Un chansonnier, dépouillé de sa guitare, a décrit une scène du film Joyeux Noël de Christian Carion avec des images aussi prégnantes qu’au cinéma. Une restauratrice, trempée dans la nostalgie, nous a fait goûter aux patates pilées de sa maman. Un médecin spécialiste a décrit ses vaines tentatives d’endormir son bébé. (La face qu’il a faite quand je l’ai reconnu, au cinquième étage de l’hôpital, la semaine dernière… Les slameurs, surtout ceux qui travaillent en gériatrie, n’ont pas l’habitude de se faire reconnaître le jour.)

Sur la scène de fortune, dans un silence monacal, j’ai écouté une dame, qui a passé l’âge de Tinder, partager son besoin de tendresse. Une autre, révéler sa bisexualité sans ambiguïté.

J’ai surtout reçu une grande dose d’humanité, d’humilité.

Les soirées de slam devraient être prescrites pour traiter les âmes blasées. Si vous pensez que votre voisin, votre ville, votre province, votre pays est atteint d’une apathie chronique, je vous invite à aller. Une fois. La démocratie se découvre dans ces petits bouts de papier froissés, dans ces voix qui chevrotent au frottement de la vérité, dans ces oreilles qui se tendent dans la même direction, vers l’autre. Vous serez rassurés.

Ils annoncent de la neige ce soir. Prenez votre pick-up. La première demi-finale de la saison commence à 20 h.

https://www.facebook.com/slamrdl

(Photo tirée de la page Facebook de Slam RDL)

 

 

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