Mylen Ouellet : full Estam

Vendredi fou, 13 h 30. Le coup de feu du midi s’éteint tranquillement à L’Estaminet. De l’autre côté des vitrines, la neige descend au ralenti, sans que les clients qui grattent leur dessert s’en émeuvent.

Assise sur une des banquettes du fond, Mylen Ouellet me parle, son regard planté dans le mien, mais son sixième sens surveille ce qui se passe sur le plancher. Dans son angle mort, elle remarque un morceau de fruit par terre, qu’elle demande discrètement à un serveur de débarrasser. Plus tard, entre deux questions, elle gère sur son cellulaire l’arrivée imminente d’une équipe de hockey junior. Vingt costauds adolescents viennent se gaver de glucides en route vers leur match du soir.

C’est plus fort qu’elle. Mylen Ouellet est full Estam, pour reprendre le slogan du populaire bistro, qui célèbre 30 ans de bière et de bouffe.

Peu de gens (allo, moi !) se souviennent des premières années de ce pub, un des premiers commerces à s’être établis dans ce pathétique Titanic qu’ont été les Allées du centre-ville. Unique survivant de ce naufrage commercial, le restaurant a appris à surfer sur les vagues avec sa troisième propriétaire, une bonne vivante dopée à l’adrénaline et au contact humain, qui en a fait une institution locale.

« Au début, c’était un modeste pub, qui misait sur les bières importées et proposait un petit menu du jour. On a bâti une carte, ajouté les déjeuners, agrandi le restaurant, refait la décoration, ajouté une salle privée… Là, je dirais qu’on a atteint notre capacité maximale », avoue-t-elle, d’un côté de sa bouche, avant que, de l’autre côté, elle dise lorgner les locaux voisins, présentement occupés par un centre de jour du CISSS.

Quand Mylen Ouellet se trouve dans son restaurant, décoré de vieux bois et de briques, vous le savez. Extravertie et rieuse, elle déplace tellement d’air qu’elle rend tout système de ventilation superflu. Entre les tables et la cuisine, la fougueuse femme de 44 ans est à sa place.

Fille d’un directeur d’école et de la propriétaire d’un ancien comptoir glacé, la Louperivoise ne se destinait pourtant pas à gérer un resto-bar de 150 places. Elle servait à la Cage aux sports, avec deux petits fistons à la maison, quand l’offre de racheter l’enseigne de la rue Lafontaine s’est présentée. « Mon conjoint a d’abord refusé. Ce n’était pas dans les plans. Mais l’idée a fait son chemin. Je ne savais pas comment j’allais arriver, mais j’y suis arrivée. Avec beaucoup de travail.

«Je suis contente de ce que j’ai réalisé, mais honnêtement, je ne suis pas sûre que je le referais. »

Vous voulez une liste de ce qu’elle a fait?

« J’ai lavé les guenilles, fermé le restaurant, servi aux tables, jusqu’à tout récemment… Encore l’été, où l’on prépare entre 500 et 600 repas par jour, j’aide en cuisine. Chez moi, je dois toujours me tenir aux aguets si un équipement brise, si une employée a mal aux dents… Si j’avais été payée pour toutes les heures que j’ai passées ici, je serais millionnaire ! » lance, les mains au ciel, celle qui anime aussi ses réseaux sociaux, en multipliant les vidéos en direct et les photos de vedettes qui viennent s’y boucher un coin avant un spectacle.

Entre le fancy et les burgers

Les samedis matin, par contre, vous ne la verrez pas préparer votre café au lait derrière le comptoir. Les week-ends se passent en famille. Ce truc explique peut-être que son couple dure depuis autant d’années que L’Estaminet. Ça, et le fait que, à la maison, il est formellement interdit de causer de travail. « Quand c’est positif, ça passe, mais on évite tout ce qui pourrait gâcher notre humeur », lance-t-elle, sans filtre, en buvant son café filtre.

En plus de suivre son fils (Tristan Pomerleau) dans le circuit du hockey universitaire, les journées de congé sont consacrées… à manger au restaurant, souvent à Québec. « Je suis épicurienne. J’aime découvrir des plats. Il y a des choses que je tente de reproduire ici, d’autres, non. Je ne peux pas proposer des trucs trop fancy. Ma clientèle aime les gros burgers », note l’entrepreneure, qui croit d’ailleurs que Rivière-du-Loup accuse un retard de cinq ans sur les tendances culinaires.

Ce n’est pourtant pas par manque de choix. Rivière-du-Loup s’affiche encore comme l’une des villes québécoises avec la plus forte concentration de cuisines au prorata du nombre de bouches. Le marché est bel et bien saturé, selon elle. « Je ne souhaiterais pas à mon pire ennemi d’ouvrir un resto. Il faut travailler fort pour garder notre place. Mais nous sommes chanceux. Nos chiffres sont en constante augmentation. En juillet dernier, l’arrivée du Shaker nous a shakés, mais ça n’a duré qu’un mois. »

Le travail avant le party

Elle s’arrête alors pour remercier la serveuse qui lui verse un réchaud. « Merci, mon p’tit cœur ! » De l’extérieur, Mylen Ouellet apparaît comme une maman attentionnée pour ses employés. « J’agis avec eux comme avec mes enfants. J’exige beaucoup d’eux, mais après, quand c’est le temps de s’amuser, je suis là. Je pense que je réussis à imposer le respect. Quand tu vois ta boss laver le frigidaire, t’es plus motivé à te forcer. »

Au fil des années, la restauratrice s’est d’ailleurs attachée à plusieurs des filles de son payroll, dont une certaine Maripier Morin, qui y a pris des commandes de 16 à 18 ans. Sur les images du mariage de l’animatrice et jet-setteuse, partagée sur sa nouvelle plateforme web, on peut d’ailleurs voir son ancienne patronne en demoiselle d’honneur (en tenue Denis Gagnon, s’cusez pardon). « Qu’elle me donne ce rôle m’est apparu comme un bel hommage. Maripier, c’est comme ma sœur, comme ma fille adoptive. J’ai toujours été honnête avec elle. On se texte tous les jours. Elle m’entraîne dans ses mondanités et j’adore ça. »

Deux jours plus tôt, Mylen Ouellet avait justement veillé tard à Québec pour le lancement de la collection de lingerie de la Cendrillon louperivoise, en collaboration avec Blush et la chaîne Simons. Des partys, elle en a vu d’autres : elle organise régulièrement des fêtes thématiques clinquantes, qui détonnent dans une ville qui, le soir, a parfois le tonus d’une matante sur la tisane.

Avec quelques années en moins, Mylen Ouellet ouvrirait sans doute une microbrasserie dans l’ancien Vol de nuit, une bâtisse qui lui appartient. Mais elle veut plutôt apprendre à se calmer le pompon. Elle aimerait confier à un gérant les activités courantes de son Estam’.

« J’aspire à plus de tranquillité. Je ne pense plus à l’expansion, mais à la finition. Je veux me concentrer sur la qualité. »

Les joueurs de hockey viennent d’entrer. Mylen Ouellet s’élance pour les accueillir. Dehors, la neige continue de tomber doucement. À l’intérieur, le vendredi s’annonce fou. Juste un autre vendredi entre les briques de L’Estaminet…

 

Mylen Ouellet, propriétaire de L’Estaminet. (Crédit photo: Mélanie Doré)

Son plat préféré à L’Estaminet ?

« Au déjeuner, je prends toujours la crêpe à l’ancienne, avec jambon. Le reste du temps, je mange un tartare avec une salade. Jamais de frites. Je m’oblige à ne pas manger de cochonneries ici. Déjà que je jogge et que je commence le CrossFit pour pouvoir bien boire et manger la fin de semaine… »

Son restaurant préféré ?

« La Légende, sur la rue Saint-Paul, à Québec. C’est un restaurant qui ne sert que des produits québécois. On n’y trouve donc pas de lime, pas de tabasco… Quand on y va, on passe à travers le menu d’entrées, qu’on déguste tranquillement avec une bonne bouteille. Les huîtres sont savoureuses. »

(Merci à Mélanie Doré pour les photos.)

 

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Les commentaires Commentez vous aussi
  1. Bravo la jolie Mylène, pour y arriver , tu as dû travailler presque jour et nuit et aujourd’hui, tu commences, sans jamais ralentir, à te préparer pour des jours meilleurs bien mérités et tu le mérites bien. Oui, tu as raison d’être fière et moi, comme ami de tes parents, je suis également heureux de ta réussite en restauration, de plus, tu as aidé plusieurs jeunes à subvenir à leurs besoins en leur offrant du travail. Mylène, bonne continuité, continue à répandre autour de toi, ta bonne humeur, ton beau sourire et ta joie de vivre!

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