La vie sans pince-nez

Marie-Pier Boudreau-Gagnon a passé vingt ans en apesanteur, à flotter la tête en bas. Elle se prépare à passer les prochaines années debout, les pieds vissés derrière un comptoir.

Dans sa mémoire, les listes d’ingrédients chimiques ont remplacé les chorégraphies. Sur son dos, elle a troqué le maillot pour le sarrau.

Discrètement, sans faire d’éclaboussures, comme elle a mené sa carrière, l’ex-athlète en nage synchronisée est revenue à Rivière-du-Loup pour amorcer sa deuxième carrière en tant que pharmacienne dans les deux Familiprix de la ville. Un changement de vie ne pourrait être plus sec.

Son horaire a longtemps été régi par le chronomètre, ses journées dictées par les entraînements. Cinq ans après avoir pris sa retraite des piscines, Marie-Pier Boudreau-Gagnon n’obéit cet hiver qu’aux sifflets de son bébé. Dans les derniers mois de son congé de maternité, les pages de son agenda sont blanches. Mais quelle profondeur peut avoir ce vide pour une Olympienne qui a, depuis ses 10 ans, visé l’excellence tous les jours dans des bassins creux de trois mètres ?

« Honnêtement, je suis contente de n’avoir rien d’exceptionnel à accomplir aujourd’hui ! »

« Je savoure l’accalmie et je m’accroche à tous les petits moments avec ma fille,  confie l’ex-athlète, des étoiles s’allumant dans ses yeux couleur piscine. Elle est l’une des plus belles surprises de mon après-carrière. Je ne pensais pas aimer la maternité tant que ça. Elle m’a permis de me déposer, pour la première fois de ma vie. »

C’est d’ailleurs en la voyant conduire sa poussette sur la rue Saint-Pierre, les épaules bien carrées et la tête rentrée sous un col de fourrure, dans un anonymat presque parfait, que j’ai eu envie d’écouter MPBG (son long nom mérite bien un acronyme) me raconter la vie après les Olympiques, avant que la flamme n’éclaire le ciel de Pyeongchang et que d’autres héros prennent sa relève sous nos yeux.

« Honnêtement, je ne pensais jamais revenir à Rivière-du-Loup. C’est drôle à dire, mais je suis revenue à cause de mon conjoint, qui avait décroché un contrat ici. J’étais partie depuis l’âge de 13 ans, quand même… Ma vie, mes amis étaient à Montréal. Je suis heureuse de me rapprocher de ma famille. J’aime tout de ma nouvelle vie », assure celle qui respire le bonheur. Mais bon, qui ne respirerait pas léger après avoir passé plus de vingt ans avec les narines écrasées ?

Incognito, bien dans sa peau

Dans cette brûlerie de la rue Lafontaine, rien ne crie la présence d’une multimédaillée en Coupe du monde. La voisine n’a probablement jamais réalisé qu’elle a bu son café à un coude d’une nageuse synchronisée qui a donné le bain au drapeau canadien aux Jeux de Pékin et de Londres.

Il faut être fin observateur pour remarquer les cinq anneaux pendant à son cou et la délicate bague en or à son doigt, qu’elle prête parfois à ses sœurs jumelles pour leur porter chance.

Si la plupart des clients ne la reconnaissent pas non plus quand elle leur tend leur pot d’antibiotiques, c’est en partie à cause de ses longs cheveux blonds, qui ne sont plus emprisonnés sous un bonnet trop serré. Mais c’est aussi — et c’est sa théorie personnelle — parce qu’elle n’est pas membre du club restreint des médaillés olympiques.

 

Cette bague lui rappelle au quotidien d’où elle revient. (Crédit: Mélanie Doré)

Marie-Pier Boudreau-Gagnon a beau être l’une des plus grandes athlètes louperivoises (la plus grande ?), avoir trempé dans l’or aux Jeux du Commonwealth, elle n’a jamais monté sur un podium dans la pure tradition grecque. Elle est restée à quelques dixièmes de point de la gloire et de la mémoire collective, des contrats lucratifs à la télé et des biographies autorisées.

Dans sa gorge, la pharmacienne n’a pas de pilule avalée de travers. Elle a fait la paix avec ses deux frustrantes quatrièmes places à Londres, en équipe et en duo. « Quand tu pratiques un sport jugé, tu ne peux pas t’arrêter aux scores. Pour les spectateurs, ça peut être plate que les dés soient pipés d’avance, mais nous connaissons la musique. Lentement, les cartes se brassent. J’ai bon espoir que ça change. J’étais fière de ma performance, et c’est ce qui me reste, avec le recul. »

Après le high, le flat

Comme bien d’autres athlètes qui accrochent leur serviette, Marie-Pier Boudreau-Gagnon a un peu raté son entrée dans la vie réelle. Un petit flat, comme on dit. MPBG a dû trouver son air, son erre d’aller, ses repères, dans un monde sans entraîneur, un monde qui dépasse les contours d’une piscine creusée.

« J’ai eu besoin d’environ deux ans pour m’adapter vraiment. En tant qu’athlète, on finit souvent sur un high. La chute d’adrénaline est violente. Du jour au lendemain, on découvre la vie, la vie normale. Par chance, ma famille m’a soutenue, encore », dit cette fille d’une ancienne directrice d’école, qui plaide pour un meilleur soutien psychologique des athlètes.

Cette fierté du club Les Flamants roses, qui dégage un étrange mélange de retenue et de spontanéité, de froideur et de chaleur, en a vu plusieurs traverser des deuils du sport autrement plus longs et douloureux. Elle a eu la chance (et l’intelligence) de planifier sa chute, en postulant au doctorat en pharmacie. Elle y a vite transféré toutes ses énergies.

« Certains athlètes terminent leur carrière sur une blessure. Moi, j’étais au sommet.»

«J’avais aussi le sentiment d’avoir atteint mon plein potentiel. Je ne pouvais pas devenir plus spectaculaire à l’âge que j’avais. J’aimais mieux partir sur une bonne note », confie celle qui, à 34 ans, garde trois hernies discales en souvenir de ses figures imposées.

Heureuse comme spectatrice

Marie-Pier Boudreau-Gagnon s’apprête maintenant à se gaver d’épreuves olympiques dans son salon. Celle qui a décidé de passer sa jeunesse en apnée après avoir admiré Sylvie Fréchette à Barcelone a toujours suivi religieusement les Jeux olympiques en famille. « Je m’intéresse à tous les sports, du bobsleigh au curling. Aux derniers Jeux, je m’étais même découvert une passion pour le saut à ski ! »

Dernièrement, la sportive a aussi ressorti le pince-nez. Des amies et anciennes coéquipières des Flamants roses l’ont convaincue d’exécuter des routines avec elles dans la piscine du Cégep, là où une énorme bannière lui rend hommage. « On nage pour le plaisir et c’est parfait ! Je ne le referais plus pour le spectacle. Je suis rendue ailleurs. »

Et elle se garde des forces pour son prochain gros défi : la Finale des Jeux du Québec à Rivière-du-Loup en 2021. La coprésidente du comité organisateur veut que les Louperivois réalisent l’ampleur de cet événement et plongent avec elle dans cette aventure. « C’est la plus belle compétition à laquelle j’ai participé pendant ma jeunesse. Ce sont des Jeux olympiques en minuscules. La flamme, l’esprit de groupe, le village, tout y est. J’espère que des jeunes s’y découvriront une passion. »

Dans quelques semaines, quand elle vous tendra votre onguent pour guérir vos petits bobos, dites-lui donc merci. Mais surtout bravo.

 

Marie-Pier Boudreau-Gagnon, ex-athlète olympique en nage synchronisée
Marie-Pier Boudreau-Gagnon terminera bientôt son congé de maternité pour retourner à la pharmacie. (Crédit: Mélanie Doré)
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