Un ami, que je ne nommerai pas de peur de le perdre, m’a fait une révélation qui m’a ébranlée cet été.
Depuis son arrivée à Rivière-du-Loup il y a une couple d’années, il n’a reçu aucune invitation. Je ne parle pas d’invitations Facebook, ni de propositions très intimes à faire exploser des bonbons rayés dans Candy Crush ou à suivre des profils LinkedIn beurrés épais. Ça, oui, il en a assez reçu qu’il pourrait en revendre. De gens qui ne le saluent pas au IGA, par surcroît.
Mais des invitations vraies, pour des activités réelles, avec un contact visuel et une bonne bouteille? Zéro.
Il est pourtant gentil. Propre de sa personne. Capable d’entretenir une conversation pendant quelques heures, sans même avoir à parler de météo ni d’Unité 9.
Qu’importe. Personne n’a pris le temps de lui suggérer de venir manger une brochette souvlaki un samedi soir sur son patio ou à aller recréer l’univers autour d’une bière. Ses collègues et connaissances savent pourtant qu’il habite seul et qu’il n’a pas de réseau social dans sa ville adoptive, plantée à deux heures de sa vie passée.
Ça m’a fait de la peine.
D’abord, parce que je me suis sentie coupable de ne pas l’avoir moi-même assis à ma table.
Ensuite, parce que je me suis reconnue.
Moi non plus, depuis mon arrivée il y a une couple d’années, je n’ai pas réussi à infiltrer les cercles fermés, à obtenir l’écusson d’un gang de filles, à décrocher une entrevue pour le poste permanent de copine.
Mon compteur n’est toutefois pas à zéro : j’ai siroté des cafés avec des merveilleuses personnes, croisées au hasard du boulot et, dès que je le peux, je retrouve A, la blonde du meilleur ami de mon chum, une formidable brunette descendue du ciel pour me sauver de l’isolement.
Même si j’ai poussé mon premier cri en haut du boulevard Armand-Thériault, même si j’ai détenu la combinaison d’un casier à l’école Saint-Pierre pendant cinq ans, je ne suis pas revenue à RDL avec un squad d’amies qui m’attendaient pour me faire des tresses, échanger des blouses et cuisiner des sushis à la maison. Mes BFF de l’époque sont toutes parties se perdre dans le trafic et ne reviennent que pour des visites de courtoisie familiale pendant les fins de semaine de trois jours.
En revenant ici par amour, je n’étais pas dupe. Je savais que l’amitié ne se pointerait pas vite le bout du nez. Je savais que je devrais rouler des kilomètres pour aller faire des confidences ou danser dans un salon. Que les offres de pyjamas-partys ne me tomberaient pas dessus comme les feuilles orangées. Un congé de maternité, entamé en hiver avec un bébé-ventouse, suivi d’un retour comme travailleuse autonome n’est pas le moyen le plus recommandé pour s’intégrer en société.
J’ai quand même levé des drapeaux. Sans annoncer publiquement que je me cherchais des amis, je l’ai subtilement suggéré. Je me suis inscrite à des cours de tennis dans l’espoir de trouver une partenaire, et plus si affinités. J’ai multiplié les sous-entendus en croisant des connaissances au centre-ville. J’ai pensé me faire imprimer le slogan « Fille fine cherche chum de filles » sur un t-shirt, mais j’y ai renoncé, par manque de place dans ma garde-robe. Pas une seule offre de sangria autour d’un feu de camp n’est entrée sur ma boîte vocale.
Je n’accuse pas. D’ailleurs, je me blâme en très grande partie. La maternité m’a rendue casanière. Je n’ai pas pris le téléphone souvent.
Quand on est enfant, l’amitié est une chose simple. J’ai une Barbie blonde. Tu as un Ken brun. (Tu as même la motomarine rose pour que la bimbo se colle sur le dude en sautant sur les vagues.) Alors, nous sommes en route pour des après-midis de roman-savon!
Quand on est adulte, la chose se complique. Comme tout le reste. On manque de temps. Celui qu’on a, on veut le rentabiliser. Comme tout le reste.
On ne se permet donc pas « d’essayer » une nouvelle amie. On prend les premières du bord, celles qu’on adore et qu’on connaît par coeur, celles qu’on a rencontrées dans la dernière rangée du cours de bio de M. Darveau, celles qui acceptent déjà nos défauts, et on règle ça rapido. On se réserve une table sur une terrasse avec celles qui nous permettront d’aller droit au but et aux choses sérieuses (« pis, as-tu couché avec lui, finalement? »), celles pour qui on n’aura pas besoin de refaire le tour de sa jeunesse et de ses ex, mais juste une mise à jour rapide et un échange de quelques potins et de bonnes vieilles anecdotes, réglés en deux verres de Chardonnay, bus en vitesse pour rentrer à la maison assez tôt pour préparer les boîtes à lunch du lendemain.
Plus on vieillit, plus on cherche le confort aussi. Une étude universitaire a révélé qu’à partir de 33 ans (et même avant, s’il a des enfants), un individu se prive lentement de toutes découvertes musicales. Il cherche à entendre les airs qui ont rythmé son adolescence, qui composent la bande sonore de sa jeunesse. Parce que cette musique le rassure. Parce qu’il en connaît déjà les paroles. Ça explique le succès des radios de « pop adulte ».
La même logique semble s’appliquer à l’amitié. Les amis de longue date sont des chansons de Radiohead et des Spice Girls qui nous réchauffent le cœur et nous font croire qu’on ne vieillit pas.
Et si on la brisait, cette logique « pop adulte », pour une fois. Et si on invitait tous une nouvelle personne pour une fois. Ou plus, si affinités.
Le pire qui peut arriver serait de tomber en amitié. Ou de se retrouver à parler de météo et d’Unité 9. Dans un cas comme dans l’autre, ça ne ferait pas mal.
Le titre de ton texte me rappelle le genre de questionnaire que tu faisais pour jouer avec moi quand une amie était à la maison avec moi, et que toi tu étais seule!
» Est-ce que je peux jouer avec vous? Cochez oui ou non ». ❤️
Oui, c’est vrai. On a l’impression que le temps manque lorsque l’on a un conjoint, des enfants, des parents, de la famille et des amis qu’on aimerait voir plus souvent.
On a l’impression qu’il n’y a plus de place, que tous les sièges sont occupés.
Je ne fais pas partie d’un cercle fermé. J’ai « changé de ville » quelques fois. Les nouvelles amies, j’ai eu la chance de les rencontrer grâce à mon travail et via des implications bénévoles. Des liens se tissent naturellement. C’est parfois surprenant de se découvrir des affinités avec certaines personnes.
L’amitié n’a pas d’âge. On se sent bien et on grandi autant à côtoyer des amis avec plus d’expérience de vie que soi qu’avec des plus jeunes, qui ont des idées et des convictions qui nous sortent parfois de notre zone de confort, qui remettent en question nos priorités et nos valeurs.
On gagne à faire de la place pour accueillir, rire, écouter, partager, se confier, évoluer, se réinventer.
Je coche oui ✔️
Quel texte magnifique, bien écrit, bien illustré et… tellement vrai. Tellement trop vrai, malheureusement. Je pense qu’il important d’ouvrir sa porte aux gens qui arrivent, qu’il est important de les intégrer, de les inviter, de créer des liens d’amitié avec eux.
Oufff que je me voit dans ton texte… Je ne suis pas originaire se rivière du loup mais j’y habite depuis presque 13 ans déjà !!! Mon cercle damies ce constitue surtout de filles avec qui je travaille !!! Je nest pas bcp damis a part ca et je suis quelqun dassez timide donc c’est difficile pour moi de rencontrer de nouvelle personne… ce soir sur mon Facebook j’ai vu quelque chose qui m’a fait réaliser que même les amies que je croyaient avoir ne sont peut être pas mes amies tant que Ça!!! Je me sens seule ce soir et jai le coeur gros!!! Ça fait tellement du bien de savoir que tu as qqun sur qui tu peux compter a tout moment du jour pu de la nuit si ça va pas… mais ce soir je viens de réaliser que je n’est pas ce genre damie autour de Moi!!! Alors moi aussi je coché oui a la question Veux tu être mon amies?
Laura! C’est si vrai!
Et moi qui change de villes comme je change de bobettes… l’exercice est en éternel recommencement! Et à Vancouver, il y a l’anglais en plus qui est une barrière supplémentaire. Par contre, l’avantage est que je deviens très proche des filles du Québec qui viennent d’arriver, tout comme moi, et qui vivent la même réalité. Mon nouveau clan est déjà composé de 2 amies… pas pire hein? 😉 Je t’embrasse xx Mireille
Tu t’en feras plein d’autres, des amies vancouvéroises, j’en suis sûre. Tu es une petite bête tellement attachante (mais qui ne reste seulement pas attachée longtemps au même endroit…) xxx